
(L'image ci-dessus n'est pas issue de l'univers HP en soi, mais je trouvais qu'elle exprimait bien l'espièglerie qui caractérise Fred et George, ainsi que le lien qui les unit.)
Thèmes : Deuil, amour, renouveau.
Univers : Harry Potter.
Personnages : George Weasley/OC.
Univers : Harry Potter.
Personnages : George Weasley/OC.

Si la vie en vaut la peine
Encore une nouvelle journée qui commençait. Une journée de trop aux yeux de George, qui venait juste d'ouvrir sa boutique de farces et attrapes pour sorciers facétieux située sur le Chemin de Traverse. Sa boutique. Autrefois, il s'agissait de leur boutique, celle dont ils avaient toujours rêvé sans le dire tout haut, jusqu'à ce que Harry fasse ce geste magnifique envers eux en leur donnant son gain de la Coupe des Trois Sorciers. Leur boutique, à lui et à... George dut prendre une grande inspiration pour ne pas tomber de l'échelle sur laquelle il était juché. Chaque jour qui passait, il s'efforçait de s'occuper au mieux de leur petit bijou, de cet endroit rempli de joie de vivre et qui représentait si bien leur personnalité spontanée et malicieuse, rieuse. Ce n'était plus le cas désormais. L'éclat lumineux dans la rétine de George s'était éteint instantanément, dès qu'il avait vu... Les souvenirs douloureux revenaient toujours au pire moment ; en fait, ils ne cessaient de hanter George. Sans arrêt. Alors qu'il essayait de s'adonner à l'entretien de son commerce, comme ranger le nouvel arrivage de bonbons qui vous donnent la langue pendante jusqu'aux pieds et multicolore comme aujourd'hui par exemple (un coup infaillible à faire à votre pire ennemi pour qu'il soit incapable de parler toute la journée et qu'il se marche sur la langue en plus de ça !), il fallait toujours qu'il entre dans une sorte de transe de nostalgie, comme il aimait à les appeler. C'est comme si le temps se mettait en arrêt et que son esprit s'évadait je-ne-sais-où, loin du monde réel en tout cas, afin que George puisse mieux se souvenir de ce qui lui faisait si mal.
La perte. La perte du seul être au monde qui puisse le comprendre, sans même avoir besoin de s'expliquer. La connexion des âmes entre frères jumeaux, ils y croyaient dur comme fer. C'était la plus grande magie qu'ils aient jamais possédé, au fond. Ça, bien sûr, ils ne l'auraient jamais dit à leur famille adorée. Mère n'aurait pas manqué de les serrer si fort dans ses bras qu'ils en auraient étouffé et physiquement et de honte ; papa aurait trouvé cette réflexion digne d'un Moldu (après tout, la seule magie qu'ils possèdent, eux, c'est l'amour) absolument fascinante chez ses fils ; Charlie et Bill auraient haussé les épaules sans chercher à en savoir plus ; Percy aurait eu son insupportable sourire narquois peint sur sa face de préfet-en-chef qui se la joue snob ; Ron n'aurait même pas cherché à cacher son hilarité (Hermione avait raison, il a vraiment la capacité émotionnelle d'une petite cuillère !) ; et enfin Ginny aurait soupiré comme seules les filles amatrices des romans à l'eau de rose savent le faire, non sans une pointe de moquerie. Bref, aucun membre de cette grande et merveilleuse fratrie de cheveux roux n'aurait compris l'importance de ce lien entre eux, entre eux deux seuls, ni ce que cela représentait véritablement pour eux. A présent, George se sentait pire qu'un Crackmol : il avait beau se servir de sa baguette quotidiennement, cela ne lui ramènerait jamais son frère, son Fred. Rien ne le ramènerait jamais, jamais plus. Il savait peut-être maîtriser la magie, mais cette dernière avait perdu tout son attrait à ses yeux. Elle n'était et ne serait jamais ce qu'il ressentait, ce qu'il ressent, pour son frère jumeau. Elle ne valait rien face à ça. Finalement, peut-être que les Moldus avaient mieux compris la Beauté de la vie que les sorciers. Ces derniers avaient tous leurs artifices de magie, de sortilèges, de vol dans les airs, de transport via les toilettes, de recoins magiques invisibles aux yeux des simples mortels, mais cela n'effaçait pas la douleur, pure, brute, telle une cicatrice invisible mais permanente.
George avait beau tenter de faire illusion, de se rendre au travail avec ardeur et envie en arpentant chaque matin et chaque soir ce Chemin qui, il y a des années, le faisait rêver comme n'importe quel sorcier, enfant ou adulte, digne de ce nom ; aujourd'hui, le charme que cet endroit opérait sur lui, cette exaltation face à ses pouvoirs de sorcier et à tout ce qu'il pouvait en faire d'amusant et d'extraordinaire avec Fred, tout cela avait disparu en fumée. Évanoui, fini. George avait décidé d'éprouver ce chagrin, jusqu'au plus profond de son être, jusque dans ses os, et c'est ainsi qu'il laissait sa tête s'envahir de souvenirs, bons comme mauvais. Et surtout du pire d'entre eux : le cadavre de Fred. Cela avait beau lui faire mal à en crever (cela n'aurait pas été plus mal d'ailleurs), il tenait à ressentir cette souffrance, à ce que cette dernière aille jusqu'à ternir son âme. Pour Fred. Pour ne pas l'oublier. Pour qu'il continue à exister à travers lui, à travers cette peine atroce. Si c'était la seule façon pour Fred de subsister, alors George était prêt à endurer les pires tourments pour lui, à se les infliger de son gré. Personne ne pourrait le faire changer d'avis. Il était encore là, lui, alors il pouvait bien ressentir le deuil de son frère jumeau jusqu'à la fin de ses jours. Fred méritait qu'on embrasse la souffrance qu'il avait dû ressentir au moment de mourir pour lui.
Alors qu'il se perdait dans les méandres de son désarroi le plus immense, George entendit la cloche à l'entrée du magasin sonner. A cette heure-ci, ce devait sûrement être Ron qui venait l'aider comme chaque jour à faire des tâches tels que l'inventaire, le rangement, le ménage et l'assister à la caisse pendant que George s'occupait du démarchage des investisseurs dans son bureau de directeur. Ce dernier avait beau aimer son petit frère de toutes ses forces (même s'il n'oserait jamais, au grand jamais, le lui avouer) et être extrêmement reconnaissant envers celui-ci pour tout le soutien qu'il lui avait apporté, sans jamais rien demander en retour, aujourd'hui, George n'était vraiment pas d'humeur. Plus rien n'avait de sens, pas même ce lieu autrefois si spécial dans lequel les jumeaux avaient investi toute leur énergie, leur volonté insatiable de rigolades et tous leurs espoirs. Cette boutique, c'était le rêve d'une vie. Qui avait tourné au cauchemar. Un cauchemar dans lequel George s'emprisonnait volontairement chaque jour. Pour Fred. Toujours et à jamais pour Fred. George savait bien que si la boutique de farces et attrapes pour sorciers facétieux tombait en désuétude et mettait la clé sous la porte, ce serait comme un aveu d'abandon. Surtout, ce serait comme trahir Fred, ce qu'il était et ce qu'il aimait de tout son c½ur. Pourtant, sans savoir pourquoi aujourd'hui en particulier, George souhaitait de tout son c½ur qu'aucun client ne franchisse cette porte de toute la journée, que son petit frère le laisse tranquille dans sa souffrance exclusive, qu'on le laisse ressasser le passé indéfiniment. George avait le besoin vital de voir le visage de son frère, de lui parler, de rire avec lui jusqu'à en avoir mal au ventre face à un Rusard déconfit, à une Miss Teigne plus teigne que jamais, et à un Percy scandalisé. Il avait besoin de revivre cela encore, et encore. Mais pour ça, il fallait qu'il soit seul avec ses pensées, que personne ne le distraie de son échappatoire.
Mais ce n'était pas Ron qui se tenait dans l'entrebâillement de la porte. D'un réflexe mécanique, George tourna sa tête vers l'entrée et ses yeux devinrent ronds d'ébahissement en voyant qui avait pénétré dans la boutique. Sa gorge se serra et il dut s'agripper de toutes ses forces à l'échelle pour redescendre. Anahita. La sorcière brillante et tout simplement magnifique qui avait aimé son frère. Anahita faisait partie du quatuor d'or : Harry, Ron, Hermione et elle. Elle avait grandi en tant que née-Moldue auprès d'Harry à Privet Drive, et sa maison avait souvent constitué un refuge pour leur ami si mal aimé des ignobles Dursley. Anahita était également aux côtés de son meilleur ami lorsque celui-ci avait utilisé pour la première fois le Fourchelangue en s'adressant au boa constrictor du zoo. Dès qu'il l'avait vu, le c½ur de George avait immédiatement loupé un battement. Impossible de faire autrement face à cette fille si solaire, rayonnante auprès de son entourage, si généreuse, une vraie crème, et qui avait sorti l'Élu de tous les galères dans lesquelles il s'était retrouvé. Et encore, George était bien gentil... Anahita avait fait preuve d'une perspicacité impressionnante, et ce dès sa première année. Souvent plus mature et clairvoyante que les adultes, elle aurait été prête à n'importe quoi pour ses amis. D'ailleurs, le fatidique jour de la Bataille, elle avait plus risqué sa vie que lui pour celle de Fred. George en avait les joues empourprées de honte rien que d'y repenser. Ce qui l'avait encore plus mortifié ce jour-là, c'est que la fille de toutes ses pensées avait failli se prendre l'Avada Kedavra qui avait achevé son frère. Et il avait osé se sentir soulagé que cela ne soit pas le cas. Voilà pourquoi il méritait sa pénitence. Voilà pourquoi il méritait que l'amour ne lui soit jamais accordé. Il n'arrivait même plus à se regarder dans un miroir...
« George... Qu'est-ce qui ne va pas ? Que je suis bête, bien sûr que cela ne peut pas aller... Cela fait aujourd'hui quatre ans que... George, s'il te plaît, regarde-moi. »
George dut baisser la tête pour le faire. La petite silhouette de la belle se tenait désormais en face de lui, et elle n'avait visiblement pas l'intention de partir. Anahita posa alors délicatement sa main sur son avant-bras, puis plongea ses merveilleux yeux d'un intense brun chocolat dans les siens de la même couleur, jusqu'à présent vides de tout. Elle lui caressait désormais avec une infinie douceur, avec une tendresse qui l'enveloppait tout entier, cet espace au coin de sa tête où se trouvait autrefois son oreille. Son auréole, comme il s'en était vanté à Fred. La perte de cette oreille n'était rien à côté de celle de son c½ur, brisé en mille morceaux. Pourtant, sous l'effet de cette caresse presque intime, George sentait celui-ci battre la chamade. Sa honte s'accrut et il ne put faire autrement que de détourner son regard vers le sol.
« Georgie... »
Ce surnom. George avait interdit à toute sa famille de l'employer après la mort de Fred. Cela lui poignardait le c½ur dès que sa mère, ou n'importe lequel de ses frères et s½ur, le surnommait ainsi. Un simple regard noir aussi foudroyant que l'éclair dessiné sur le front de Harry et un silence de plomb qui en disait long avaient suffi à enterrer ce petit sobriquet affectueux à tout jamais. Pourtant, en l'entendant traverser la barrière des lèvres pleines et si agréables à regarder d'Anahita, il avait tout simplement souhaité l'entendre répéter ce nom indéfiniment, de sa voix cristalline, affectueuse, qui sonnait comme le plus mélodieux des chants à ses oreilles. Enfin, à son oreille. Il oubliait souvent qu'il n'en avait plus qu'une et la caresse continue d'Anahita sur cet espace vide maintenait parfaitement cette illusion. Lorsque son véritable nom, celui que Fred lui avait octroyé, était prononcé par elle, il se sentait revivre, comme si une étincelle de vie lui traversait le corps tout entier. Il se sentait aussi faible, impuissant d'éprouver cela pour la fille qui avait occupé les derniers instants de son bien-aimé frère et en avait plus fait que lui pour le sauver. Il baissa son regard vers ses chaussures le temps de pouvoir réapprendre à respirer correctement, puis planta de nouveau ses yeux dans ceux de biche de la ravissante jeune femme.
« Tu sais, Anahita... J'ai beau lui ressembler, j'avais beau tout faire et partager avec lui, nos âmes à lui et moi étaient connectées, mais... Je ne suis pas lui, Anahita. Je ne suis pas Fred, et je ne pourrai jamais prendre sa place, même si son absence nous fait à tous extrêmement mal.
- Mais, que...
- Écoute, je sais que, lui et toi, vous avez passé beaucoup d'instants ensemble avant qu'il... Avant la Bataille qui nous l'a enlevé... Je ne lui ai jamais posé de questions, cela ne me regardait pas, c'était votre intimité, je n'avais pas le droit d'empiéter dessus... J'avais déjà la plupart du temps mon frère tout à moi alors je ne l'ai jamais enquiquiné à ce propos... Mais voilà, je ne pourrai jamais avoir l'importance que Fred avait pour toi, et inversement... Mon c½ur est trop brisé et anéanti pour se laisser berner.
- Oh, Georgie... »
Et voilà, il avait réussi à la faire pleurer. Sans cesser de caresser le coin de sa tête à l'oreille manquante avec une extrême lenteur (et George aurait voulu que cela ne s'arrête jamais), des larmes intarissables descendaient désormais en cascades sur les joues de la jeune sorcière, et venaient mouiller sa longue chevelure brun foncé qui lui arrivait aujourd'hui jusqu'au milieu du dos. La dernière fois qu'il l'avait vu, il y a quatre ans, Anahita avait fait faire couper ses cheveux en un carré ondulé qui lui allait divinement. Fred n'avait de cesse de lui répéter qu'il la trouvait adorable ainsi, tout en ébouriffant affectueusement sa tignasse et en esquissant son fameux sourire jusqu'aux oreilles, celui qui éclairait les jours de George et qui était si contagieux qu'il était tout bonnement impossible de ne pas le reproduire à son tour. Et pourtant, c'était bien Fred qui avait le sourire le plus sincère, le plus lumineux et le plus chaleureux de tous. Le même sourire qu'il avait peint sur le visage le jour où... le jour où il est parti. Il faut dire qu'une blague venant de Percy valait tous les sourires du monde. Celui de Fred était si puissant qu'il avait réussi à triompher de la mort, du moins c'est ce que leur mère leur répétait, sûrement pour tromper le chagrin innommable de voir ainsi le corps sans vie d'un de ses fils tant choyés. George avait cru alors ne jamais pouvoir revoir ce sourire unique et si magnifique un jour, pas avant de rejoindre lui-même Fred dans l'au-delà. Mais ce qui se déroulait à présent sous ses yeux... cela démangea George de se pincer pour pouvoir y croire. Malgré ses larmes ruisselantes telle l'eau d'une source, le visage hâlé et si avenant d'Anahita était désormais éclairé d'un sourire qui valait tout l'or du monde. Son sourire. George en eut les larmes aux yeux et le souffle coupé. Ses bras avaient beau avoir la consistance du coton en cet instant, il réussit l'exploit de prendre ce visage tant aimé entre ses mains malmenées et d'esquisser un centième de ce sourire si réconfortant et miraculeux.
« Il est vrai que je passais pas mal de temps avec ton frère. Mais pas pour la raison que tu crois. Il n'y a jamais rien eu entre nous deux, si ce n'est une superbe amitié. A cause de ma timidité, je n'osais pas t'avouer tout ce que je ressentais pour toi au plus profond de mon c½ur, et Fred faisait de son mieux pour m'y aider. Il m'a toujours dit que la plus belle chose que je pouvais faire pour toi, c'était de t'avouer mes sentiments avec la sincérité dont j'avais toujours fait preuve. Sans fard, sans artifices, juste moi telle que je suis, mes papillons dans le ventre à chaque fois que je pose les yeux sur toi et mon c½ur qui explose dans ma poitrine dès que je suis en ta présence à te donner, sans retenue. Que c'était tout ce que tu désirais le plus au monde au fond de toi. Il était comme un frère pour moi. J'aurais aimé qu'il le devienne véritablement s'il n'y avait pas eu... Tu sais quel jour nous sommes aujourd'hui ? Ça fait quatre ans exactement. Quatre ans qu'il est parti, et je m'en suis tellement voulue de ne pas avoir pu t'offrir le cadeau de te rendre ton frère sain et sauf que je... je n'ai pas pris de tes nouvelles depuis. Quatre ans de perdus. Quatre années de regrets et de honte. Je ne sais pas pourquoi aujourd'hui, je me suis souvenue de la dernière chose que ton frère m'a dit juste avant la Bataille. De ce merveilleux conseil que j'ai eu la stupidité de ne pas suivre. Mais me voilà, George Weasley. Je t'aime, et je veux passer le restant de ma vie à tes côtés, si tu veux bien de moi. Il est temps qu'on s'autorise à vivre à nouveau. Rendons nos morts fiers de nous.»
Sans même prendre le temps d'y réfléchir à deux fois, George se pencha plus avant vers elle et fit ce dont il avait toujours rêvé : il l'embrassa avec le peu de forces qu'il lui restait et s'abandonna complètement à ce baiser. Il ne savait si c'était les larmes de l'élue de son c½ur qui lui mouillaient ainsi son visage jusqu'alors ravagé par la tristesse et la résignation, ou si c'était son flot de larmes à lui qui l'inondait de la sorte. Sûrement les deux. Quoiqu'il en soit, il l'enserra jusqu'à l'en étouffer et il sentit deux mains fébriles encercler son cou et s'y accrocher avec une vigueur époustouflante. Alors que ce baiser commençait à le priver sérieusement d'air, George jura entendre, tel le carillon du bonheur, un rire aux éclats bien familier résonner à son oreille enchantée.
La perte. La perte du seul être au monde qui puisse le comprendre, sans même avoir besoin de s'expliquer. La connexion des âmes entre frères jumeaux, ils y croyaient dur comme fer. C'était la plus grande magie qu'ils aient jamais possédé, au fond. Ça, bien sûr, ils ne l'auraient jamais dit à leur famille adorée. Mère n'aurait pas manqué de les serrer si fort dans ses bras qu'ils en auraient étouffé et physiquement et de honte ; papa aurait trouvé cette réflexion digne d'un Moldu (après tout, la seule magie qu'ils possèdent, eux, c'est l'amour) absolument fascinante chez ses fils ; Charlie et Bill auraient haussé les épaules sans chercher à en savoir plus ; Percy aurait eu son insupportable sourire narquois peint sur sa face de préfet-en-chef qui se la joue snob ; Ron n'aurait même pas cherché à cacher son hilarité (Hermione avait raison, il a vraiment la capacité émotionnelle d'une petite cuillère !) ; et enfin Ginny aurait soupiré comme seules les filles amatrices des romans à l'eau de rose savent le faire, non sans une pointe de moquerie. Bref, aucun membre de cette grande et merveilleuse fratrie de cheveux roux n'aurait compris l'importance de ce lien entre eux, entre eux deux seuls, ni ce que cela représentait véritablement pour eux. A présent, George se sentait pire qu'un Crackmol : il avait beau se servir de sa baguette quotidiennement, cela ne lui ramènerait jamais son frère, son Fred. Rien ne le ramènerait jamais, jamais plus. Il savait peut-être maîtriser la magie, mais cette dernière avait perdu tout son attrait à ses yeux. Elle n'était et ne serait jamais ce qu'il ressentait, ce qu'il ressent, pour son frère jumeau. Elle ne valait rien face à ça. Finalement, peut-être que les Moldus avaient mieux compris la Beauté de la vie que les sorciers. Ces derniers avaient tous leurs artifices de magie, de sortilèges, de vol dans les airs, de transport via les toilettes, de recoins magiques invisibles aux yeux des simples mortels, mais cela n'effaçait pas la douleur, pure, brute, telle une cicatrice invisible mais permanente.
George avait beau tenter de faire illusion, de se rendre au travail avec ardeur et envie en arpentant chaque matin et chaque soir ce Chemin qui, il y a des années, le faisait rêver comme n'importe quel sorcier, enfant ou adulte, digne de ce nom ; aujourd'hui, le charme que cet endroit opérait sur lui, cette exaltation face à ses pouvoirs de sorcier et à tout ce qu'il pouvait en faire d'amusant et d'extraordinaire avec Fred, tout cela avait disparu en fumée. Évanoui, fini. George avait décidé d'éprouver ce chagrin, jusqu'au plus profond de son être, jusque dans ses os, et c'est ainsi qu'il laissait sa tête s'envahir de souvenirs, bons comme mauvais. Et surtout du pire d'entre eux : le cadavre de Fred. Cela avait beau lui faire mal à en crever (cela n'aurait pas été plus mal d'ailleurs), il tenait à ressentir cette souffrance, à ce que cette dernière aille jusqu'à ternir son âme. Pour Fred. Pour ne pas l'oublier. Pour qu'il continue à exister à travers lui, à travers cette peine atroce. Si c'était la seule façon pour Fred de subsister, alors George était prêt à endurer les pires tourments pour lui, à se les infliger de son gré. Personne ne pourrait le faire changer d'avis. Il était encore là, lui, alors il pouvait bien ressentir le deuil de son frère jumeau jusqu'à la fin de ses jours. Fred méritait qu'on embrasse la souffrance qu'il avait dû ressentir au moment de mourir pour lui.
Alors qu'il se perdait dans les méandres de son désarroi le plus immense, George entendit la cloche à l'entrée du magasin sonner. A cette heure-ci, ce devait sûrement être Ron qui venait l'aider comme chaque jour à faire des tâches tels que l'inventaire, le rangement, le ménage et l'assister à la caisse pendant que George s'occupait du démarchage des investisseurs dans son bureau de directeur. Ce dernier avait beau aimer son petit frère de toutes ses forces (même s'il n'oserait jamais, au grand jamais, le lui avouer) et être extrêmement reconnaissant envers celui-ci pour tout le soutien qu'il lui avait apporté, sans jamais rien demander en retour, aujourd'hui, George n'était vraiment pas d'humeur. Plus rien n'avait de sens, pas même ce lieu autrefois si spécial dans lequel les jumeaux avaient investi toute leur énergie, leur volonté insatiable de rigolades et tous leurs espoirs. Cette boutique, c'était le rêve d'une vie. Qui avait tourné au cauchemar. Un cauchemar dans lequel George s'emprisonnait volontairement chaque jour. Pour Fred. Toujours et à jamais pour Fred. George savait bien que si la boutique de farces et attrapes pour sorciers facétieux tombait en désuétude et mettait la clé sous la porte, ce serait comme un aveu d'abandon. Surtout, ce serait comme trahir Fred, ce qu'il était et ce qu'il aimait de tout son c½ur. Pourtant, sans savoir pourquoi aujourd'hui en particulier, George souhaitait de tout son c½ur qu'aucun client ne franchisse cette porte de toute la journée, que son petit frère le laisse tranquille dans sa souffrance exclusive, qu'on le laisse ressasser le passé indéfiniment. George avait le besoin vital de voir le visage de son frère, de lui parler, de rire avec lui jusqu'à en avoir mal au ventre face à un Rusard déconfit, à une Miss Teigne plus teigne que jamais, et à un Percy scandalisé. Il avait besoin de revivre cela encore, et encore. Mais pour ça, il fallait qu'il soit seul avec ses pensées, que personne ne le distraie de son échappatoire.
Mais ce n'était pas Ron qui se tenait dans l'entrebâillement de la porte. D'un réflexe mécanique, George tourna sa tête vers l'entrée et ses yeux devinrent ronds d'ébahissement en voyant qui avait pénétré dans la boutique. Sa gorge se serra et il dut s'agripper de toutes ses forces à l'échelle pour redescendre. Anahita. La sorcière brillante et tout simplement magnifique qui avait aimé son frère. Anahita faisait partie du quatuor d'or : Harry, Ron, Hermione et elle. Elle avait grandi en tant que née-Moldue auprès d'Harry à Privet Drive, et sa maison avait souvent constitué un refuge pour leur ami si mal aimé des ignobles Dursley. Anahita était également aux côtés de son meilleur ami lorsque celui-ci avait utilisé pour la première fois le Fourchelangue en s'adressant au boa constrictor du zoo. Dès qu'il l'avait vu, le c½ur de George avait immédiatement loupé un battement. Impossible de faire autrement face à cette fille si solaire, rayonnante auprès de son entourage, si généreuse, une vraie crème, et qui avait sorti l'Élu de tous les galères dans lesquelles il s'était retrouvé. Et encore, George était bien gentil... Anahita avait fait preuve d'une perspicacité impressionnante, et ce dès sa première année. Souvent plus mature et clairvoyante que les adultes, elle aurait été prête à n'importe quoi pour ses amis. D'ailleurs, le fatidique jour de la Bataille, elle avait plus risqué sa vie que lui pour celle de Fred. George en avait les joues empourprées de honte rien que d'y repenser. Ce qui l'avait encore plus mortifié ce jour-là, c'est que la fille de toutes ses pensées avait failli se prendre l'Avada Kedavra qui avait achevé son frère. Et il avait osé se sentir soulagé que cela ne soit pas le cas. Voilà pourquoi il méritait sa pénitence. Voilà pourquoi il méritait que l'amour ne lui soit jamais accordé. Il n'arrivait même plus à se regarder dans un miroir...
« George... Qu'est-ce qui ne va pas ? Que je suis bête, bien sûr que cela ne peut pas aller... Cela fait aujourd'hui quatre ans que... George, s'il te plaît, regarde-moi. »
George dut baisser la tête pour le faire. La petite silhouette de la belle se tenait désormais en face de lui, et elle n'avait visiblement pas l'intention de partir. Anahita posa alors délicatement sa main sur son avant-bras, puis plongea ses merveilleux yeux d'un intense brun chocolat dans les siens de la même couleur, jusqu'à présent vides de tout. Elle lui caressait désormais avec une infinie douceur, avec une tendresse qui l'enveloppait tout entier, cet espace au coin de sa tête où se trouvait autrefois son oreille. Son auréole, comme il s'en était vanté à Fred. La perte de cette oreille n'était rien à côté de celle de son c½ur, brisé en mille morceaux. Pourtant, sous l'effet de cette caresse presque intime, George sentait celui-ci battre la chamade. Sa honte s'accrut et il ne put faire autrement que de détourner son regard vers le sol.
« Georgie... »
Ce surnom. George avait interdit à toute sa famille de l'employer après la mort de Fred. Cela lui poignardait le c½ur dès que sa mère, ou n'importe lequel de ses frères et s½ur, le surnommait ainsi. Un simple regard noir aussi foudroyant que l'éclair dessiné sur le front de Harry et un silence de plomb qui en disait long avaient suffi à enterrer ce petit sobriquet affectueux à tout jamais. Pourtant, en l'entendant traverser la barrière des lèvres pleines et si agréables à regarder d'Anahita, il avait tout simplement souhaité l'entendre répéter ce nom indéfiniment, de sa voix cristalline, affectueuse, qui sonnait comme le plus mélodieux des chants à ses oreilles. Enfin, à son oreille. Il oubliait souvent qu'il n'en avait plus qu'une et la caresse continue d'Anahita sur cet espace vide maintenait parfaitement cette illusion. Lorsque son véritable nom, celui que Fred lui avait octroyé, était prononcé par elle, il se sentait revivre, comme si une étincelle de vie lui traversait le corps tout entier. Il se sentait aussi faible, impuissant d'éprouver cela pour la fille qui avait occupé les derniers instants de son bien-aimé frère et en avait plus fait que lui pour le sauver. Il baissa son regard vers ses chaussures le temps de pouvoir réapprendre à respirer correctement, puis planta de nouveau ses yeux dans ceux de biche de la ravissante jeune femme.
« Tu sais, Anahita... J'ai beau lui ressembler, j'avais beau tout faire et partager avec lui, nos âmes à lui et moi étaient connectées, mais... Je ne suis pas lui, Anahita. Je ne suis pas Fred, et je ne pourrai jamais prendre sa place, même si son absence nous fait à tous extrêmement mal.
- Mais, que...
- Écoute, je sais que, lui et toi, vous avez passé beaucoup d'instants ensemble avant qu'il... Avant la Bataille qui nous l'a enlevé... Je ne lui ai jamais posé de questions, cela ne me regardait pas, c'était votre intimité, je n'avais pas le droit d'empiéter dessus... J'avais déjà la plupart du temps mon frère tout à moi alors je ne l'ai jamais enquiquiné à ce propos... Mais voilà, je ne pourrai jamais avoir l'importance que Fred avait pour toi, et inversement... Mon c½ur est trop brisé et anéanti pour se laisser berner.
- Oh, Georgie... »
Et voilà, il avait réussi à la faire pleurer. Sans cesser de caresser le coin de sa tête à l'oreille manquante avec une extrême lenteur (et George aurait voulu que cela ne s'arrête jamais), des larmes intarissables descendaient désormais en cascades sur les joues de la jeune sorcière, et venaient mouiller sa longue chevelure brun foncé qui lui arrivait aujourd'hui jusqu'au milieu du dos. La dernière fois qu'il l'avait vu, il y a quatre ans, Anahita avait fait faire couper ses cheveux en un carré ondulé qui lui allait divinement. Fred n'avait de cesse de lui répéter qu'il la trouvait adorable ainsi, tout en ébouriffant affectueusement sa tignasse et en esquissant son fameux sourire jusqu'aux oreilles, celui qui éclairait les jours de George et qui était si contagieux qu'il était tout bonnement impossible de ne pas le reproduire à son tour. Et pourtant, c'était bien Fred qui avait le sourire le plus sincère, le plus lumineux et le plus chaleureux de tous. Le même sourire qu'il avait peint sur le visage le jour où... le jour où il est parti. Il faut dire qu'une blague venant de Percy valait tous les sourires du monde. Celui de Fred était si puissant qu'il avait réussi à triompher de la mort, du moins c'est ce que leur mère leur répétait, sûrement pour tromper le chagrin innommable de voir ainsi le corps sans vie d'un de ses fils tant choyés. George avait cru alors ne jamais pouvoir revoir ce sourire unique et si magnifique un jour, pas avant de rejoindre lui-même Fred dans l'au-delà. Mais ce qui se déroulait à présent sous ses yeux... cela démangea George de se pincer pour pouvoir y croire. Malgré ses larmes ruisselantes telle l'eau d'une source, le visage hâlé et si avenant d'Anahita était désormais éclairé d'un sourire qui valait tout l'or du monde. Son sourire. George en eut les larmes aux yeux et le souffle coupé. Ses bras avaient beau avoir la consistance du coton en cet instant, il réussit l'exploit de prendre ce visage tant aimé entre ses mains malmenées et d'esquisser un centième de ce sourire si réconfortant et miraculeux.
« Il est vrai que je passais pas mal de temps avec ton frère. Mais pas pour la raison que tu crois. Il n'y a jamais rien eu entre nous deux, si ce n'est une superbe amitié. A cause de ma timidité, je n'osais pas t'avouer tout ce que je ressentais pour toi au plus profond de mon c½ur, et Fred faisait de son mieux pour m'y aider. Il m'a toujours dit que la plus belle chose que je pouvais faire pour toi, c'était de t'avouer mes sentiments avec la sincérité dont j'avais toujours fait preuve. Sans fard, sans artifices, juste moi telle que je suis, mes papillons dans le ventre à chaque fois que je pose les yeux sur toi et mon c½ur qui explose dans ma poitrine dès que je suis en ta présence à te donner, sans retenue. Que c'était tout ce que tu désirais le plus au monde au fond de toi. Il était comme un frère pour moi. J'aurais aimé qu'il le devienne véritablement s'il n'y avait pas eu... Tu sais quel jour nous sommes aujourd'hui ? Ça fait quatre ans exactement. Quatre ans qu'il est parti, et je m'en suis tellement voulue de ne pas avoir pu t'offrir le cadeau de te rendre ton frère sain et sauf que je... je n'ai pas pris de tes nouvelles depuis. Quatre ans de perdus. Quatre années de regrets et de honte. Je ne sais pas pourquoi aujourd'hui, je me suis souvenue de la dernière chose que ton frère m'a dit juste avant la Bataille. De ce merveilleux conseil que j'ai eu la stupidité de ne pas suivre. Mais me voilà, George Weasley. Je t'aime, et je veux passer le restant de ma vie à tes côtés, si tu veux bien de moi. Il est temps qu'on s'autorise à vivre à nouveau. Rendons nos morts fiers de nous.»
Sans même prendre le temps d'y réfléchir à deux fois, George se pencha plus avant vers elle et fit ce dont il avait toujours rêvé : il l'embrassa avec le peu de forces qu'il lui restait et s'abandonna complètement à ce baiser. Il ne savait si c'était les larmes de l'élue de son c½ur qui lui mouillaient ainsi son visage jusqu'alors ravagé par la tristesse et la résignation, ou si c'était son flot de larmes à lui qui l'inondait de la sorte. Sûrement les deux. Quoiqu'il en soit, il l'enserra jusqu'à l'en étouffer et il sentit deux mains fébriles encercler son cou et s'y accrocher avec une vigueur époustouflante. Alors que ce baiser commençait à le priver sérieusement d'air, George jura entendre, tel le carillon du bonheur, un rire aux éclats bien familier résonner à son oreille enchantée.
Nanette ♥
OS rédigé dans le cadre du concours de BibliothequedePoudlard.
Partage